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L'avifaune migratrice

L’intérêt de l’ornithologie sur Ouessant est double car l’île est non seulement un site de nidification important notamment pour plusieurs espèces d’oiseaux marins mais aussi un carrefour migratoire très important. 

Si la faible diversité d’habitats sur l’île ne permet pas la nidification d’un nombre important d’espèces, l’originalité de ces habitats implique la présence d’espèces peu communes à l’échelle nationale comme les oiseaux marins nichant en falaises littorales. Bon an mal an, à peine plus d’une cinquantaine d’espèces niche sur l’île, de l’omniprésent troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes) à la rare locustelle tachetée (Locustella naevia) dont la réinstallation sur l’île date de 2008. Ouessant et ses îlots satellites n’en demeurent pas moins un bastion pour certaines espèces nicheuses à l’échelle régionale voire nationale; citons par exemple le macareux moine (Fratercula arctica) pour qui l’île Keller constitue l’une des deux dernières colonies françaises, le fulmar boréal (Fulmarus fulmarus) dont l’effectif ouessantin est désormais le plus important de Bretagne, le crave à bec rouge (Pyrrhocorax pyrrhocorax), le busard des roseaux (Circus aeruginosus), le faucon pèlerin (Falco peregrinus)… 

Les falaises littorales - L'avifaune migratrice macareux moine

Lorsque l’on adjoint à cette liste d’oiseaux nicheurs toutes les espèces observées au moins une fois sur Ouessant, on atteint un total de plus de 400 espèces ! Et chaque année, ce sont environ 220 espèces qui sont observées sur l’île ! Ce sont ces chiffres exceptionnels qui font la réputation d’Ouessant par-delà les frontières françaises. Dans cette liste de 400 espèces, figurent une trentaine d’hivernants (râle d’eau Rallus aquaticus, tournepierre à collier Arenaria interpres, bécassine des marais Gallinago gallinago…), bon nombre d’espèces migratrices dont le passage est régulier (puffin fuligineux Puffinus griseus, grand Labbe Stercorarius skua, rougequeue à front blanc Phoenicurus phoenicurus…) ainsi qu’une multitude d’espèces accidentelles. 

L’intensité du phénomène de migration en Mer d’Iroise, notamment à l’automne, peut d’une part s’expliquer par une situation géographique toute particulière. La pointe bretonne est en effet un carrefour de plusieurs routes migratoires. Elle constitue par exemple un passage obligé pour les oiseaux marins pélagiques entre les colonies d’Europe du Nord et les zones d’hivernage du Golfe de Gascogne ou d’Atlantique sud. Qu’ils viennent d’Islande, Écosse ou de Norvège, pingouins torda (Alca torda), guillemots de Troïl (Uria aalge), mouettes tridactyles (Rissa tridactyla) et autres oiseaux pélagiques s’engagent dans le vaste entonnoir formé par la Manche, la Mer d’Irlande et débouchant à la pointe bretonne. Là, ces oiseaux doivent entamer un virage à 90° pour gagner les eaux poissonneuses du Golfe de Gascogne. Les littoraux sont des routes migratoires toutes tracées pour bon nombre de limicoles, anatidés et même passereaux ; la Mer d’Iroise constitue là encore un passage obligé pour ces oiseaux. 

L'avifaune migratrice torda

Les conditions météorologiques régnant au printemps et à l’automne sur l’Atlantique Nord et au niveau local en Mer d’Iroise constituent également un des facteurs majeurs caractérisant les passages pré et post-nuptiaux à Ouessant. Ainsi, un hiver froid et précoce dans le nord de l’Europe va précipiter des millions d’oiseaux (grives, pinsons, mésanges…) vers le sud. Beaucoup de ces oiseaux passeront ainsi au-dessus d’Ouessant durant les nuits étoilées d’octobre. Une majorité de passereaux migrent en effet la nuit pour éviter les prédateurs. Ils se repèreraient notamment grâce à la voute céleste. Mais comment entamer ce virage à 90° au niveau de la pointe bretonne lorsque le temps se gâte en pleine nuit ? Ainsi, le phare du Créac’h, l’un des plus puissants du monde, joue un rôle important dans le phénomène migratoire à Ouessant ! Les milliers de passereaux poussés en mer celtique par une météo subitement devenue défavorable parviennent pour certains à regagner Ouessant en suivant le faisceau 

lumineux du Créac’h. Les ouessantins ont longtemps profité des nuits brumeuses d’octobre pour aller « cueillir » les grives exténuées au pied du phare…! 

L'avifaune migratrice lune

L’exceptionnelle « concentration » de raretés à Ouessant en automne relève également de cette combinaison de facteurs météorologiques et géographiques. Ainsi, un bécasseau tacheté (Calidris melanotos) déporté de sa route migratoire est-américaine en septembre, mois des cyclones outre-atlantique, n’aura d’autres alternatives que de traverser l’Atlantique d’ouest en est en suivant la route habituelle des courants dépressionnaires. A la pointe de l’Europe, Tory Island, l’archipel des Scilly et Ouessant sont les premières terres qu’il rencontrera… A l’inverse, un jeune pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) déporté de sa route est-sibérienne qui doit le mener dans le sud de la Chine par des vents d’Est en octobre, retrouvera d’autres espèces de pouillots en Scandinavie et n’aura d’autres choix que de les suivre sur leur routes migratoires ouest-européennes. Si les vents d’est se poursuivent, Ouessant pourrait, cette fois, constituer la dernière terre avant l’océan, seul salut pour ce passereau de 7-8 grammes. Ainsi, l’île d’Ouessant constitue chaque année un lieu de rencontre improbable entre espèces arctiques, néarctiques, sibériennes et orientales et un formidable révélateur des anomalies du phénomène de migration des oiseaux. 

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L'avifaune migratrice roselin

Le passage printanier, s’il est moins impressionnant en raison du moindre nombre d’oiseaux qu’il concerne (par l’apport des jeunes de l’année, la migration postnuptiale concerne environ 4 fois plus d’oiseaux que le passage prénuptial…), il n’en demeure pas moins intéressant. Plus étalé dans le temps (de début avril à début juin), il concerne là encore les oiseaux marins regagnant leurs chères falaises du Nord de l’Europe et la multitude de passereaux revenant d’Afrique ou d’Europe du Sud. Les vents d’Est viennent parfois contrarier ces mouvements en poussant héron pourpré (Ardea cinerea), sarcelle d’été (Anas querquedula) et loriot d’Europe (Oriolus oriolus) vers l’île d’Ouessant, dernière étape salvatrice avant de retrouver leurs sites de nidification. Certaines années, un début de printemps « anormalement » beau et chaud induira en erreur des espèces plutôt méditerranéennes en les déportant trop au Nord ; ainsi, il n’est pas rare d’entendre le cri râpeux du guêpier d’Europe (Merops apiaster) ou de croiser la pie-grièche à tête rousse (Lanius senator) au mois de mai à Ouessant. Ce phénomène est appelé overshooting par les ornithologues anglo-saxons. 

Où observer les oiseaux migrateurs à Ouessant ?

Compte-tenu des informations rappelées ci-dessus, cela dépend évidemment de la saison et des conditions météorologiques. 

L’observation d’oiseaux en migration active n’est pas toujours aisée. Le seawatching, aussi appelé « guet à la mer » consiste à se placer sur un promontoire dominant l’océan, muni d’une bonne paire de jumelles et d’une longue vue. Si les conditions de marée et de vent sont bonnes, il est alors possible d’observer bon nombre d’oiseaux marins, pélagiques ou côtiers en migration diurne. Ainsi, les passages de fous de bassan (Morus bassanus) et d’alcidés peut être véritablement impressionnants certains jours d’avril ou d’octobre. Puffins, macreuses noires, mouettes tridactyles, labbes, sternes et phalaropes à bec large peuvent aussi être observés dans de bonnes conditions. Les pointes de Pern, Créac’h et Porz Doun semblent être les sites de seawatching les plus appropriés par vents d’Ouest ; l’observation à partir de la pointe de Kadoran sera plus fructueuse en cas de vent de secteur Nord-Est. 

En période de passage, il peut aussi être opportun de lever les yeux au ciel dans l’espoir d’observer des rapaces comme la bondrée apivore (Pernus apivorus), mais aussi hérons et cigognes. Ces grands oiseaux profitent généralement du milieu de journée et de la présence d’ascendances thermiques pour effectuer leurs mouvements migratoires en vol plané. 

L’observation de passereaux en migration active est peu aisée compte-tenu du fait que ces mouvements sont essentiellement nocturnes, pour les raisons déjà évoquées plus haut. Cependant, lorsque le passage est intense durant la nuit ou bien lorsque ce même passage a été contrarié par une brusque dégradation des conditions météorologiques, il peut être judicieux de prospecter sur les pointes de l’île au lever du jour. Beaucoup d’oiseaux fatigués terminent alors leur dure nuit de migration en recherchant un milieu favorable pour une halte d’un jour ou plus. 

L'avifaune migratrice Pinson du Nord

Une façon assez cocasse de palper ce phénomène migratoire est de se rendre sous le phare du Créac’h en début de nuit, surtout lorsque cette dernière s’annonce brumeuse. Il est alors possible d’observer les nombreux passereaux tournant autour de la lanterne (parfois plusieurs milliers de grives !), obnubilés par cette lumière salvatrice à la manière de moucherons autour d’un lampadaire. Ce ballet est parfois entrecoupé de cris de limicoles dont la silhouette fine et furtive peut être entrevue à la faveur d’un rayon lumineux. Ce spectacle attire aussi certains prédateurs nocturnes comme le hibou des marais (Asio flammeus). Devant telle profusion de proies faciles, des rapaces diurnes s’essaient même à la chasse de nuit, comme l’épervier d’Europe (Accipiter nisus) ou le faucon pèlerin (Falco peregrinus)! 

Certains jours d’automne, le résultat d’une nuit de migration peut sauter aux yeux. Du jour au lendemain, l’île peut par exemple se « remplir » de rouge-gorges familiers (Erithacus rubecola) ou de roitelets huppés (Regulus regulus). Ces arrivées massives peuvent donner lieu à des observations amusantes, certains rouge-gorges se retrouvant à chasser talitres et autres petits crustacés de l’estran dans les laisses de mer, certains roitelets s’essayant quant à eux à la recherche de pucerons dans les cristes marines ! 

L'avifaune migratrice Rouge gorge familier

Différents types de milieux sont susceptibles d’abriter des oiseaux en halte migratoire : 

Les grèves de l’île accueilleront par exemple de beaux groupes de limicoles en mai ou septembre ainsi que des ardéidés ou des anatidés. Les anses de Porz Doun et Porz Coret au sud-est de l’île en sont sans nul doute les plus fréquentées. 

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L'avifaune migratrice - Héron cendré

Les pelouses aérohalines peuvent attirer les migrateurs friands d’invertébrés comme le traquet motteux (Oenanthe oenanthe) ou le courlis corlieu (Numenius phaeopus). Les bruants nordiques, bruant des neiges (Plectrophenax nivalis) et bruant lapon (Calcarius lapponicus) peuvent également effectuer de courtes haltes sur ces pelouses. 

La plage du Korz en fond de Baie de Lampaul est un important reposoir à laridés à marée basse, en basse saison touristique. Ce peut être l’occasion d’observer de gros rassemblements de goélands bruns (Larus fuscus), de mouettes rieuses et mélanocéphales (Chroicocephalus ridibundus, Ichthyaetus melanocephalus), etc. 

Les deux réservoirs d’eau douce à Stang ar Merdy ainsi que les quelques marais et prairies humides du Nord de l’île peuvent être intéressants pour les limicoles dulçaquicoles, certains canards ou hérons. Les roselières du Créac’h, du Niou ou de Stang Korz abritent quant à elle les fauvettes paludicoles, le bruant des roseaux (Emberiza schoeniclus) et l’invisible marouette ponctuée (Porzana porzana). 

L'avifaune migratrice chevalier stagnatile
L'avifaune migratrice - Bruant nain

On observera parfois le pluvier guignard (Charadrius morinellus) ou le faucon émerillon (Falco colombarius) sur les landes rases littorales de Kadoran, Lann Penn ar lann ou Ar Ru. 

Pluvier guignard

Les prairies de Parluc’hen où de Kerlann sont favorables au pluvier doré (Pluvialis apricaria), vanneau huppé (Vanellus vanellus) ou au rare étourneau roselin (Sturnus roseus). 

Les saulaies de fond de vallons concentrent une bonne part des oiseaux effectuant une halte migratoire sur Ouessant et recherchant le couvert et la sécurité des seuls arbres de l’île. Sylviidés et gobemouches peuvent y être omniprésents en octobre. Ces milieux constituent également des sites de recherche des migrateurs rares très prisés des ornithologues présents sur l’île jusque début novembre. On peut notamment y trouver des espèces sibériennes comme le pouillot à grand sourcil (Phylloscopus inornatus), le pouillot brun (P. fuscus), d’Europe de l’Est comme le gobemouche nain (Ficedula parva) ou bien des parulines venues d’Amérique du Nord.